Comment échapper au spectacle lamentable d'un humanité de rampants, empêtrés dans de querelles intestines qu'ils reconduisent sans cesse en dépit de la démonstration flagrante que l'Histoire leur en donne de la futilité ; enfin merde, se faire la guerre pour s'accaparer un bout de territoire ? pour imposer ses idées, ou pire, ses valeurs, voire, plus pathétique encore, sa religion ? A défaut de parvenir à coexister paisiblement avec autrui, ne viendra-t-il à l'esprit de personne de vivre et mourir sagement dans son coin ? Quand se faire oublier sera-t-il enfin érigé en principe de vie ?
Paradoxalement, c'est quand elle s'est ainsi abaissée sous l'animal, ou pour le dire très opportunément, lorsqu'elle est tombée plus bas que terre, que cette humanité semble trouver le ressort nécessaire pour s'élever au-dessus d'elle. C'est du moins ce que donne à voir l'aventure de la conquête spatiale, qui est avant tout le produit du génie de la guerre. De fait, si l'on veut bien admettre que l'Humanité est animée de la rage de se répandre, alors la guerre est bien cet accélérateur de l'Histoire que décrivait Lénine, et pour aussi lamentable que ce soit, il faut admettre qu'au fond, elle nous sert. Ruse de l'Histoire, dira-t-on.
Ainsi, c'est alors que la guerre froide bat son plein que l'Amérique va trouver l'énergie de s'ébrouer enfin. Humiliée par les réussites de l'URSS, d'autant plus insolentes que la dictature exercée par le Kremlin lui permet de (faire) taire tous ses échecs, elle se lance à son tour dans la conquête spatiale et parvient, le 20 juillet 1969, à faire vivre à l'Humanité un moment, ce pourquoi elle demeure encore à ce jour une nation indépassée : dans le respect des hommes, car Apollo n'est pas un radeau de la Méduse jeté en pleine mer, en arracher à cette Terre pour les faire marcher sur la Lune.
Chacun sait cela, mais trop semblent en ignorer la portée - force est de constater que de nos jours, la conquête spatiale n'est plus pour beaucoup, dont ceux qui nous dirigent, LA priorité. L'on veut croire que c'est parce qu'ils n'ont pas suffisamment pris la mesure de l'exploit accompli, tant il est démesuré. Alors voilà, en plus de la seule vertu qu'il a d'exister, tant la perfection de sa réalisation en fait un canon dans son genre, le documentaire Apollo 11 pourrait bien avoir celle d'ouvrir les yeux sur ce dont les hommes sont capables et, en conséquence, sur ce qu'ils ont le devoir d'accomplir.
Car Apollo 11, c'est une représentation du dépassement.
Dépassement technique, d'abord. D'emblée, l'image de la fusée Saturn V, montée sur le char à chenilles qui la transporte vers le pas de tir, stupéfie. Tout est monumental. Les hommes sont des fourmis. Le module dans lequel les astronautes vont revenir sur Terre apparaît pour ce qu'il est, une tête d'épingle, et comme le fait remarquer un des personnages dans l'excellente série For All Mankind, l'on réalise qu'au départ, ils sont tout simplement assis sur une bombe.
Dépassement humain, ensuite. Les images des salles de contrôle où s'alignent le long de rangées interminables la foule de ceux qui veillent au bon déroulement de la mission permet de réaliser l'effort individuel et collectif consenti par ces derniers. Chacun apparaît focalisé sur sa tâche, conscient de l'importance cruciale qu'elle revêt, aussi limitée qu'elle puisse être. Il se donne à voir comme le rouage d'une mécanique bien huilée, sans pour autant que son humanité apparaisse abolie. Le langage presque "colloquial" employé dans les échanges rappelle combien l'aventure en cours est profondément humaine. C'est un collectif gigantesque, tendu vers un même objectif.
Au-delà du fond, la forme. Mais de la réalisation, que dire ? Ce n'est pas qu'il n'y a rien à en dire, c'est que les mots apparaissent trop banals pour l'évoquer. C'est qu'à l'image du périple qui est narré, elle n'est pas loin de la perfection dans son genre.
Nombre de séquences, dénichées dans les archives de la NASA qui, décidemment, constituent un trésor de l'Humanité, sont en haute résolution. Ainsi rendue criante d'actualité, le spectateur est happé par la séquence d'ouverture pour vivre l'aventure comme si elle se déroulait en direct. Et de fait, ce n'est qu'avec le générique de fin que, comme les astronautes, il reviendra sur Terre. On l'a compris, si Apollo 11 est unique, c'est parce que c'est Apollo 11 comme si vous y étiez.
Le montage a ceci de génial qu'il n'est assorti d'aucun commentaire, sinon d'époque, ou qui semble d'époque. Tout n'est que donné à voir, comme si le spectacle devait parler par lui-même. Par réflexe, on pourrait fustiger cette manière d'exposer les choses, au même titre que la posture fondamentalement méprisante de ceux qui prétendent que dans un musée, chacun est censé comprendre d'emblée objets et images. Toutefois, la critique serait déplacée ici, car il n'est pas attendu du spectateur qu'il accède à un sens caché. Une fusée décolle, qui permet à des hommes de marcher sur la Lune et de revenir sur Terre. Il n'y a rien de plus à dire. Tout est dans ce périple pétri d'héroïsme. Voilà.
Enfin, pour rajouter à l'ensemble, une musique littéralement envoutante. Oui, personne n'ignore que le décollage s'est bien passé. Que l'injection trans-lunaire s'est bien déroulée. Et ainsi de suite, que toutes les étapes se sont succédées à la perfection jusqu'au retour sur Terre. Mais rien à faire, habillée pareillement, chacune devient un grand moment de suspens, si bien que dans l'ensemble, le documentaire pourrait aussi bien passer pour un grand film d'aventure.
Ce n'est pas parce que ce blog est consacré à l'informatique, au point d'aborder l'histoire de cette dernière jusqu'à dans des aspects très techniques, qu'il est tenu par un auteur qui n'en perçoit pas les limites.
En particulier, si Internet a fait le bonheur des informaticiens, il faut aussi bien reconnaître qu'il est loin d'avoir fait celui de l'Humanité. Eh! ne l'a-t-il pas trop longtemps distraite de la conquête spatiale dans laquelle elle doit s'investir ?
C'est qu'Internet a créé un nouveau territoire à conquérir, dont les frontières ont été longtemps difficiles à cerner, au point que certains ont pu penser qu'elles n'existaient pas au prétexte qu'il suffisait de rajouter un serveur pour les repousser. Aussi la prise de contrôle par les entreprises et les Etats présente-t-elle une vertu, celle de nous rappeler qu'importe le terrain de jeu que se donne l'Humanité, il se révèle tôt ou tard étriqué. Partant, une conséquence inattendue du surcroît de régulation du réseau des réseaux pourrait conduire à réinvestir l'espace. A vrai dire, pour le bien de tous, c'est que l'on peut espérer de mieux.
Et donc pour conclure, regardez et regardez encore Apollo 11. Si vous êtes en quête de dépassement, vous y trouverez l'occasion de vous rappeler que si vous êtes sur cette Terre, c'est parce que votre destin est de la quitter.